Ebola, le fruit de notre grande misère

 

"Notre continent serait-il maudit ? Nous sommes nombreux à le penser. En témoignent tous ces Africains qui prennent tous les jours le risque d’aller se noyer dans la Méditerranée plutôt que de continuer de vivre sur nos terres. Et, à voir toutes les horreurs que nous vivons ces temps-ci, nos guerres, nos islamistes fous furieux, et maintenant le virus de la fièvre hémorragique, on pourrait être tenté de croire que ceux qui pensent à une malédiction n’ont peut-être pas tort.

Le dernier fléau à nous frapper s’appelle Ebola, et comme la peste autrefois, il suscite la peur, voire la panique. Qu’avons-nous donc fait au bon Dieu pour que nous soyons les seuls qu’Il frappe des maladies les plus étranges et les plus compliquées à soigner ? Disons que c’est parce que nous le voulons bien. Lorsqu’en 2014, on veut continuer de vivre comme dans la préhistoire, sous prétexte que l’on est Africain, il ne faut pas s’étonner d’être atteint de maladies préhistoriques.

La plupart des affections qui nous touchent, beaucoup plus souvent que les autres, sont généralement causées par la mauvaise hygiène, par l’environnement sale dans lequel nous vivons et aussi par notre incapacité à nous conduire de façon rationnelle. Pendant des années, nous avons vécu au milieu des ordures ici, dans ce pays. Et malgré les efforts faits par le pouvoir actuel, il existe encore des quartiers et des villes où les habitants vivent en permanence dans les ordures.

Faites un tour à Adjamé, Abobo, Koumassi, Bouaké, etc., et vous vous en apercevrez. Allez voir dans quel état se trouvent nos abattoirs. Allez au Liberia, en Guinée, en Sierra Leone, au Nigeria, au Mali, au Bénin, au Togo, au Congo, partout en Afrique, et vous verrez que c’est soit la même chose, soit pire. C’est chez nous que l’on vend des médicaments périmés ou contrefaits en toute liberté, que n’importe quel analphabète peut se proclamer docteur, professeur et faire ingurgiter n’importe quoi à n’importe qui, en toute impunité. Nous sommes les seuls peuples réfractaires à l’hygiène, à un environnement sain et propre. Que ne savons-nous pas des risques qu’il y a à vivre au milieu des ordures, des flaques d’eaux nauséabondes, des nids de moustiques, au bord des caniveaux aux eaux putrides ?

Tous ceux qui sont en train de lire cet éditorial le savent. Il ne nous coûte rien de vivre dans un environnement sain, mais nous trouvons que c’est fatigant. Se lever un samedi ou un dimanche matin pour nettoyer son quartier, sa rue ; assécher les flaques d’eau sale, c’est trop fatigant, c’est trop nous demander. Pour l’assainissement de notre environnement, nous attendons que l’état vienne le faire à notre place tout, en sachant que sans notre concours, ce n’est pas demain la veille qu’il le fera. Faut-il s’étonner après qu’une maladie comme ébola apparaisse dans des pays comme les nôtres ? C’est parce que nous, Ivoiriens, sommes chanceux qu’elle n’a pas fait son apparition chez nous. Des maladies telles que la lèpre, la poliomyélite, la variole ou la peste ont aussi frappé l’Europe.

Qu’ont fait les Européens ? Ils ont fait des recherches très poussées et ont fini par trouver les médicaments contre ces maladies. Ils ont assaini leur environnement et fait disparaître par ricochet bon nombre de ces maladies. La variole a totalement disparu de la terre, mais je ne serais pas surpris de la voir réapparaître un jour sous les tropiques.

Le Sida est apparu au milieu des années 1980, dans un premier temps dans les milieux homosexuels et toxicomanes en Europe et en Amérique. Lorsque la maladie fut clairement identifiée, l’on sut comment s’en protéger. Partout dans le monde, sa progression fut ralentie, sauf en Afrique. Parce que c’est nous qui trouvâmes que le Sida était « un syndrome inventé pour décourager les amoureux », donc nous refusâmes d’y croire. Puis, lorsqu’il nous fut conseillé de porter des préservatifs, nous estimâmes que l’on ne pouvait pas manger des bonbons avec leur emballage. Bref, nous trouvâmes tous les moyens, en rigolant, de ne pas utiliser les préservatifs.

Tout en étant convaincus que l’homme, le vrai, l’Africain digne, est celui qui doit s’offrir toutes les femmes à sa portée, même s’il s’agit de prostituées. Le résultat de cette inconscience, nous le connaissons au niveau du Sida : l’Afrique est le continent le plus touché.

Lorsqu’ébola est arrivé, on nous a dit de ne pas toucher les morts pour éviter d’être contaminés. Mais nous avons dit que parce que nous sommes Africains, cela revient à piétiner nos coutumes. Nous avons donc touché nos morts, tout en sachant qu’en le faisant, nous risquions de mourir et de répandre la maladie. Et nous avons répandu la maladie. On nous demande de ne plus consommer de viande de brousse.

Mais nous disons que parce que nous sommes Africains, nous devons en manger quels qu’en soient les risques. On est Africain ou on ne l’est pas. Que dire lorsque de jeunes Libériens vont libérer des malades d’ébola de leur centre de soin et les laisser courir dans la nature ? Ignorance, ignorance, nègrerie, nègrerie ! La conséquence est que l’épidémie est devenue incontrôlable dans ce pays.

Si nous n’y prenons garde, cette maladie risque d’anéantir tous les efforts faits pour redresser notre pays.

Heureusement, il n’y a pas encore de cas chez nous. Alors, arrêtons pour une fois de jouer les nègres, n’écoutons plus les pasteurs criminels, les tradipraticiens à la petite semaine et autres bonimenteurs. Respectons scrupuleusement ce que les médecins et nos autorités nous recommandent de faire."

Venance Konan

Ebola, le fruit de notre grande misère